29_Okt. 1918
Mon cher maître et ami !
Je viens vous remercier de votre bonne lettre et
du conseil qu’elle contient au sujet de la péroraison du
Quintette ; j’avais déja formé le projet d’un remaniement
dans le sens d’un élargissement du mouvement – une
espèce de paraphrase qui allongerait l’ouvrage de deux ou
trois minutes de musique –; ceci peut très bien s’accordder avec vos conclusions, dont je sens toute la justesse, et
que j’adopte sans la moindre „rébellion“.
J’avoue franchement qu’il n’en est pas de même
au sujet des dénominations tour à tour italiennes et allemandes que j’emploie. Pardonnez : vous me faites un peu la guerre et je ne puis résister au désir de soutenir mon point du vue.
Et tout d’abord : Bratsche. – L’étymologie n’est pas contestable.
Mais chaque langue diffère ; l’allemand : Bratsche est plus juste
que le français : alto. – (Très exacte me paraît la dénomination
d’Hermann Ritter pour l’instrument à 5 cordes : Viola alta.)
Il y a beaucoup de noms d’instruments pris de l’italien et
qui, par l’usage, sont devenus allemands (Oboe, Violine, Fagott)
d’autres ont été transformés (Tromba = Trompete, Viola da braccio = Bratsche). A mon avis, en écrivant «2 Violinen und 2 Bratschen» j’écris en allemand. – Pourquoi n’ai-je
pa écrit : „2 Violini e 2 Viole“ ? Parce qu’il m’eut fallu alors
écrire le titre, la dédicace, etc, en italien et que ceci n’aurait
pas de sens étant donné que je ne connais pas la langue. –
La même logique m’a fait titrer les Variations en allemand.
(„Aria“ avec a, parce que „Arie“ s’applique plutôt à un morceau
chanté – „Giga“ est pareillement à „Sinfonia“ employé dans
le sens de Bach pour différencier de „Gigue“, musique
de danse et homophonique, et de „Symphonie“, musique d’orchestre. – Präambulum, latin germanisé par l’usage et l’orthographe ; d’où „Thema“ avec h.)
Quand aux nuances et mouvements, la question est un
peu plus compliquée ; voici mes raisons (toutes personnelles) : une
grande quantité de locutions italiennes sonst devenues, (toujours par
l’usage, cette vieille idole de l’humanité) internationales et universelles. La plupart sont indispensables (surtout pour les nuances.)
Mais la littérature, ou mieux l’esprit littéraire abolit peu à
peu les termes trop connus ou n’ayant qu’une signification
générale, lesquels se sons figés jusqu’à ne plus être que des
étiquettes sans aucune force persuasive – excepté pour l’Italien
lui-même, qui pénètre le sens vivant du terme. Pour nous
autres étrangers, je vous assure, quand nous lisons : „Allegro
con spirito“ ou „Andante maestoso“, nous n’entendons pas
ce que ces mots veulent dire, mais nous voyons immédiatement un Rondo de Hummel ou un Concerto de Tschaikowsky. – Ici le mot a „fait“ la chose ; vous savez que Saint-
-Säens (après bien d’autres) a fabriqué une forme : Allegro
appassionato. Et Leichtentritt écrit de l’étude en fa min. de
Chopin : „die herrliche Prägung des Agitato-Charakters.“ ( ! !)
Ai-je tort ? Peut-être. Mai vous voyez pourquoi je préfère
écrire : „Feurig bewegt,“ plutôt que „Allegro con fuoco“. (Patent
Mendelssohn.) –
Par ailleurs la terminologie internationale qui suffisait autrefois, est devenue trop restrainte. Il ne suffirait plus de connaître une centaine de mots : il faudrait savoir la langue
pour tout exprimer en italien. Il y a par exemple dans votre
Concerto pour piano bien des phrases que je ne comprends
pas. Et même si je les comprenais, je n’aurais pas été
capable de les écrire. En résumé la chose m’apparait ainsi :
Tout ce qui n’appartient pas au petit vocabulaire international des termes musicaux peut être écrit dans n’importe
quelle langue, sons qu’il y ait pour cela dualité de langage.
Pardonnez-moi cette fastidieuse et interminable
tirade. Je voulais au fond seulement vous prouver, que
je n’écris pas „Aria“ et „Melodram“ par étourderie.
Veuillez transmettre mes respectueuses amitiés
à
madame Busoni et accepter, mon cher maître,
les saluts affectueux de votre tout dévoué
PHJ
qui ira bientôt
vous voir – et
travaille beaucoup à la
partition de
Liszt.