Philipp Jarnach an Ferruccio Busoni arrow_backarrow_forward

Zürich · 29. Oktober 1918

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29_Okt. 1918

Mon cher maître et ami!

Je viens vous remercier de votre bonne lettre et
du conseil qu’elle contient au sujet de la péroraison du
Quintette; j’avais déja formé le projet d’un remaniement
dans le sens d’un élargissement du mouvement – une
espèce de paraphrase qui allongerait l’ouvrage de deux ou
trois minutes de musique –; ceci peut très bien s’accord-
der avec vos conclusions, dont je sens toute la justesse, et
que j’adopte sans la moindre „rébellion“.

J’avoue franchement qu’il n’en est pas de même
au sujet des dénominations tour à tour italiennes et alle-
mandes que j’emploie. Pardonnez: vous me faites un peu la guerre et je ne puis résister au désir de soutenir mon point du vue.

Et tout d’abord: Bratsche. – L’étymologie n’est pas contestable.
Mais chaque langue diffère; l’allemand: Bratsche est plus juste
que le français: alto. – (Très exacte me paraît la dénomination
d’Hermann Ritter pour l’instrument à 5 cordes: Viola alta.)
Il y a beaucoup de noms d’instruments pris de l’italien et
qui, par l’usage, sont devenus allemands (Oboe, Violine, Fagott)
d’autres ont été transformés (Tromba = Trompete, Viola da braccio = Bratsche). A mon avis, en écrivant «2 Violinen und 2 Bratschen» j’écris en allemand. – Pourquoi n’ai-je

29_Okt. 1918

Mon cher maître et ami !

Je viens vous remercier de votre bonne lettre et du conseil qu’elle contient au sujet de la péroraison du Quintette ; j’avais déja formé le projet d’un remaniement dans le sens d’un élargissement du mouvement – une espèce de paraphrase qui allongerait l’ouvrage de deux ou trois minutes de musique –; ceci peut très bien s’accordder avec vos conclusions, dont je sens toute la justesse, et que j’adopte sans la moindre „rébellion“.

J’avoue franchement qu’il n’en est pas de même au sujet des dénominations tour à tour italiennes et allemandes que j’emploie. Pardonnez : vous me faites un peu la guerre et je ne puis résister au désir de soutenir mon point du vue.

Et tout d’abord : Bratsche. – L’étymologie n’est pas contestable. Mais chaque langue diffère ; l’allemand : Bratsche est plus juste que le français : alto. – (Très exacte me paraît la dénomination d’Hermann Ritter pour l’instrument à 5 cordes : Viola alta.) Il y a beaucoup de noms d’instruments pris de l’italien et qui, par l’usage, sont devenus allemands (Oboe, Violine, Fagott) d’autres ont été transformés (Tromba = Trompete, Viola da braccio = Bratsche). A mon avis, en écrivant «2 Violinen und 2 Bratschen» j’écris en allemand. – Pourquoi n’ai-je pa écrit : „2 Violini e 2 Viole“ ? Parce qu’il m’eut fallu alors écrire le titre, la dédicace, etc, en italien et que ceci n’aurait pas de sens étant donné que je ne connais pas la langue. – La même logique m’a fait titrer les Variations en allemand. („Aria“ avec a, parce que „Arie“ s’applique plutôt à un morceau chanté – „Giga“ est pareillement à „Sinfonia“ employé dans le sens de Bach pour différencier de „Gigue“, musique de danse et homophonique, et de „Symphonie“, musique d’orchestre. – Präambulum, latin germanisé par l’usage et l’orthographe ; d’où „Thema“ avec h.)

Quand aux nuances et mouvements, la question est un peu plus compliquée ; voici mes raisons (toutes personnelles) : une grande quantité de locutions italiennes sonst devenues, (toujours par l’usage, cette vieille idole de l’humanité) internationales et universelles. La plupart sont indispensables (surtout pour les nuances.) Mais la littérature, ou mieux l’esprit littéraire abolit peu à peu les termes trop connus ou n’ayant qu’une signification générale, lesquels se sons figés jusqu’à ne plus être que des étiquettes sans aucune force persuasive – excepté pour l’Italien lui-même, qui pénètre le sens vivant du terme. Pour nous autres étrangers, je vous assure, quand nous lisons : „Allegro con spirito“ ou „Andante maestoso“, nous n’entendons pas ce que ces mots veulent dire, mais nous voyons immédiatement un Rondo de Hummel ou un Concerto de Tschaikowsky. – Ici le mot a „fait“ la chose ; vous savez que Saint- -Säens (après bien d’autres) a fabriqué une forme : Allegro appassionato. Et Leichtentritt écrit de l’étude en fa min. de Chopin : „die herrliche Prägung des Agitato-Charakters.“ ( ! !) Ai-je tort ? Peut-être. Mai vous voyez pourquoi je préfère écrire : „Feurig bewegt,“ plutôt que „Allegro con fuoco“. (Patent Mendelssohn.) –

Par ailleurs la terminologie internationale qui suffisait autrefois, est devenue trop restrainte. Il ne suffirait plus de connaître une centaine de mots : il faudrait savoir la langue pour tout exprimer en italien. Il y a par exemple dans votre Concerto pour piano bien des phrases que je ne comprends pas. Et même si je les comprenais, je n’aurais pas été capable de les écrire. En résumé la chose m’apparait ainsi : Tout ce qui n’appartient pas au petit vocabulaire international des termes musicaux peut être écrit dans n’importe quelle langue, sons qu’il y ait pour cela dualité de langage.

Pardonnez-moi cette fastidieuse et interminable tirade. Je voulais au fond seulement vous prouver, que je n’écris pas „Aria“ et „Melodram“ par étourderie.

Veuillez transmettre mes respectueuses amitiés à madame Busoni et accepter, mon cher maître, les saluts affectueux de votre tout dévoué PHJ qui ira bientôt vous voir – et travaille beaucoup à la partition de Liszt.
                                                                
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pa écrit: „2 Violini e 2 Viole“? Parce qu’il m’eut fallu alors
écrire le titre, la dédicace, etc, en italien et que ceci n’aurait
pas de sens étant donné que je ne connais pas la langue. –
La même logique m’a fait titrer les Variations en allemand.
(„Aria“ avec a, parce que „Arie“ s’applique plutôt à un morceau
chanté – „Giga“ est pareillement à „Sinfonia“ employé dans
le sens de Bach pour différencier de „Gigue“, musique
de danse et homophonique, et de „Symphonie“, musique d’orches-
tre. – Präambulum, latin germanisé par l’usage et l’orthographe; d’où „Thema“ avec h.)

Quand aux nuances et mouvements, la question est un
peu plus compliquée; voici mes raisons (toutes personnelles): une
grande quantité de locutions italiennes sonst devenues, (toujours par
l’usage, cette vieille idole de l’humanité) internationales et univer-
selles. La plupart sont indispensables (surtout pour les nuances.)
Mais la littérature, ou mieux l’esprit littéraire abolit peu à
peu les termes trop connus ou n’ayant qu’une signification
générale, lesquels se sons figés jusqu’à ne plus être que des
étiquettes sans aucune force persuasive – excepté pour l’Italien
lui-même, qui pénètre le sens vivant du terme. Pour nous
autres étrangers, je vous assure, quand nous lisons: „Allegro
con spirito“ ou „Andante maestoso“, nous n’entendons pas
ce que ces mots veulent dire, mais nous voyons immédiate-
ment un Rondo de Hummel ou un Concerto de Tschaikow-
sky
. – Ici le mot a „fait“ la chose; vous savez que Saint-

                                                                
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-Säens (après bien d’autres) a fabriqué une forme: Allegro
appassionato. Et Leichtentritt écrit de l’étude en fa min. de
Chopin: „die herrliche Prägung des Agitato=Charakters.“ (!!)
Ai-je tort? Peut-être. Mai vous voyez pourquoi je préfère
écrire: „Feurig bewegt,“ plutôt que „Allegro con fuoco“. (Patent
Mendelssohn.) –

Par ailleurs la terminologie internationale qui suffisait au-
trefois, est devenue trop restrainte. Il ne suffirait plus de con-
naître une centaine de mots: il faudrait savoir la langue
pour tout exprimer en italien. Il y a par exemple dans votre
Concerto pour piano bien des phrases que je ne comprends
pas. Et même si je les comprenais, je n’aurais pas été
capable de les écrire. En résumé la chose m’apparait ainsi:
Tout ce qui n’appartient pas au petit vocabulaire international des termes musicaux peut être écrit dans n’importe
quelle langue, sons qu’il y ait pour cela dualité de langage.

Pardonnez-moi cette fastidieuse et interminable
tirade. Je voulais au fond seulement vous prouver, que
je n’écris pas „Aria“ et „Melodram“ par étourderie.

Veuillez transmettre mes respectueuses amitiés
à madame Busoni et accepter, mon cher maître,
les saluts affectueux de votre tout dévoué
PHJ
qui ira bientôt
vous voir – et
travaille beaucoup à la
partition de Liszt.
                                                                
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Dokument

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Überlieferung
Deutschland | Berlin | Staatsbibliothek zu Berlin · Preußischer Kulturbesitz | Musikabteilung mit Mendelssohn-Archiv | Nachlass Ferruccio Busoni | N.Mus.Nachl. 30,105 |

Nachweis Kalliope

Zustand
Brief und Umschlag sind gut erhalten.
Umfang
, 3 beschriebene Seiten
Hände/Stempel
  • Hand des Absenders Philipp Jarnach, Brieftext in schwarzer Tinte, in lateinischer Schreibschrift
  • Hand des Archivars, der mit Bleistift die Signaturen eingetragen, eine Foliierung vorgenommen und das Briefdatum ergänzt hat
  • Hand des Archivars, der die Zuordnung innerhalb des Busoni-Nachlasses mit Rotstift vorgenommen hat
  • Bibliotheksstempel (rote Tinte)
  • Poststempel (schwarze Tinte)

Inhaltlich Verantwortliche
Christian Schaper Ullrich Scheideler
bearbeitet von
Stand
10. Mai 2022: in Bearbeitung (in der Erfassungs-/Codierungsphase)
Stellung in diesem Briefwechsel
Vorausgehend Folgend
Benachbart in der Gesamtedition